Comment tenir le haut du pâté en croûte? Dans la presse:

M. Eric Richard dans la Boucherie

Comment tenir le haut du pâté en croûte

Par Jérôme Estèbe le 24.02.2012 pour la Tribune de Genève!

Nul doute que pour certains arbitres des nouvelles élégances culinaires, le pâté en croûte peut paraître daté, rococo, kitschounet même. Il est vrai que ce mets-là a quelques siècles de four. Les cuistots du Moyen Age cachaient déjà leurs farces dans une enveloppe de pâte, pour aider à leur cuisson et conservation. Il est vrai aussi que ledit pâté à bien perdu de sa superbe depuis que les traiteurs industriels s’en sont emparés. Produit à la chaîne, sans morale ni tendresse, il est devenu ce morceau de carton mâché, abritant une triste masse informe, qui mollit au fond des frigos de supérette. Celui-là même que l’on mastique sans plaisir les soirs de verrées alcoolisées entre collègues. Pâté-tique.

Snobé par la modernité, galvaudé par l’industrie, le pâté aurait pu y laisser sa croûte. Ben non. Car nombre d’artisans continuent à honorer le grand classique avec toute la déférence voulue. A Genève, il n’est ainsi nullement impossible de croquer dans de remarquables spécimens. Sous la Halle de Rive par exemple, sur le banc de la boucherie Jacky Bula au hasard, où tous les matins dorent au four des pâtés exemplaires. L’enveloppe croustille dru; la gelée gigote vaillamment; la farce, avec de vrais morceaux de chair dedans, offre aux crocs ce divin mix entre fondant et fermeté.

Saindoux, priez pour nous

«Le croustillant, c’est le saindoux que l’on ajoute à la pâte qui l’amène», explique avec gourmandise Eric Richard, co-boss de l’enseigne. «Pour la farce, on utilise du jambon et du veau, avec des pistaches et des morilles. A cette base sont ajoutés des petits cubes de viande, marinés au vin blanc, laurier et oignons, puis juste blanchis.» Après cuisson, une fois le pâté refroidi, la gelée est intégrée à la poche à douille, grâce à de petites cheminées façonnées à cet effet. Si c’est pas mignon…

Reste à connaître l’assaisonnement de la farce, élément clef du bon pâté. Le boucher sourit derrière sa moustache. «Du sel, du poivre… et un petit secret maison.» On n’en saura pas plus. Notez que les pâtés des voisins de la Halle, Bulliard et Ducret pour ne pas les citer, ne déméritent guère, sous des looks plus parallélépipédiques et dans des genres gustativement différents. Car chaque artisan a ses trucs et recettes. Foies de volaille et gorge de porc par ici; agneau et fruits secs par là. A la Boucherie du Molard, on reste fidèle au Richelieu, avec son confortable cylindre de foie gras planté au milieu. Tandis qu’au Coin de Campagne, sis aux Acacias, Arnault Bogard n’en fait qu’à sa tête. «Ces jours-ci, c’est bison», annonce-t-il. «En automne, je farcis avec de la chasse. A Pâques, j’essaierai le cabri.» Certains se souviennent avec émotion de son pâté au canard et zestes d’orange amère. Un bonheur croustillant.

Sous les pâtés, la plage

Cela dit, tout cela demeure fort sobre au regard des déclinaisons luxueuses et baroques que connu le mets au XIXe, qui demeure le siècle du pâté en croûte, comme son prédécesseur fut celui des Lumières. Impossible de ne pas citer le légendaire autant que superlatif «oreiller de la belle Aurore», création de la maman de Brillat-Savarin, Claudine-Aurore Récamier, dont la recette commence ainsi: «Ayez une noix de veau, deux perdreaux roux, le râble d’un lièvre, un poulet, un canard, une demi-livre de filet de porc, un foie gras d’oie cru, une belle truffe noire et deux ris de veau blanchis.» De la poésie en croûte.

Sachez enfin que depuis trois ans, un «championnat du monde de pâté en croûte» se tient tous les ans en décembre à Lyon. Une épreuve de haute voltige, patronnée par des chefs étoilés, âprement disputée par la crème des charcutiers français et généreusement médiatisée. Madame Figaro n’avait ainsi pas hésité à classer la manifestation parmi ses très enviés «néo-snobismes de l’hiver»… Et si ce bon vieux pâté devenait la croûte la plus branchée du moment?